Les motards forment une communauté. Et je me demande souvent la signification pour moi de ce petit salut de reconnaissance que j'échange avec les motard de tout bord, dont je ne connais rien.
Cependant, quand je roule de jour comme de nuit, la présence d'un autre motard fait apparaître un espace de fraternité. L'apparition de celui-ci, dans mon rétro, à un croisement, ou à l'horizon d'une ligne droite fait naître une présence. Celle-ci est sans rapport avec celle de l'automobiliste dans sa boîte, ou celle des passants plus ou moins intéressés au passage des motos.
Dans la présence d'un autre motard, je sens directement le partage. Le partage de ces valeurs romantiques et floues de la fragilité de la moto, de sa puissance et de sa liberté. Cette fraternité se situe hors des conventions.
Augmentant ma vitesse, j'essaie de le rejoindre, excité de le voir disparaître et réapparaître au gré des courbes et des pentes.
Petit-à-petit, les détails me renseignent sur la moto, la forme d'un phare, l'emplacement d'un pot d'échappement…, je me renseigne sur la monture, et je sens monter en moi l'envie de la voir. Je m'approche jusqu'à être suffisamment près pour ressentir une attraction , force subtile qui nous relie dans le plaisir de rouler ensemble quelques instants.
Goûter, en voyant son alter-ego, le plaisir de l'angle d'un virage, l'intensité vermillon d'un freinage ou le dessin d'une trajectoire qu'on aurait pris différemment. La communication est alors infime, et me fait penser à celle que peuvent échanger les bernaches dans leurs vols au long cours, ou les chevaux dans un troupeau lancé au galop dans la plaine: une attitude, un regard, un signe de la tête tout au plus.
Une fraternité au-delà de l'appartenance, une fraternité rendue à l'essentiel, deux souffles de vie parcourant la terre, réunis pendant un instant. Puis c'est la séparation, à un croisement, ou dans une accélération qui me laisse sur place, il n'y a ni joie ni tristesse, simplement la route qui continue